jeudi 1 janvier 2015

La folle journée de Ferris Bueller

Dans la nostalgie de cinéphile qui habite chacun de nous, il y a pour moi, la redécouverte récente d'un film dont j'avais gardé depuis plus de 20 ans deux souvenirs persistants : un adolescent au musée et un adolescent faisant "une énorme bêtise" dont je ne peux rien vous dire pour maintenir le suspens.
J'avais perdu jusqu'au titre de ce film, étant, pendant toutes ces années dans l'attente du miracle me permettant de revoir ces moments qui m'avaient touché.
Voilà. C'est fait.
Il m'aura suffi de bredouiller quelques mots sur un moteur de recherche pour que ce film réapparaisse dans son entité et avec même la possiblité de voir l'une de ses scènes-clefs.


La folle journée de Ferris Bueller c'est son titre, je le dis de suite, est maintenant, pour moi, un film culte. Pourquoi ?
La forme générale de ce film on la connaît, c'est un teenage movie avec tout son vocabulaire : le lycée, les parents un peu naïfs face à l'adolescence triomphante, le proviseur (l'autorité) avec lequel on s'amuse. Mais, au-delà de ce genre ici exploité à fond dans sa forme et, disons-le de suite, parfaitement maîtrisé dans l'image, il y a quelque chose de plus juste et de plus fort qui sourd sous l'attendu du genre.
Certes, le titre contient le nom du héros, Ferris Bueller, joué par un Matthew Broderick qui joue à merveille l'adolescent malin et mutin et s'adresse directement au public qui doit jouer avec lui de sa fantaisie. C'est déjà bien, cette complicité. Mais, finalement, ce que nous apprendra ce film, c'est que le vrai héros est Cameron, l'ami de Ferris et c'est bien pour Cameron que Ferris organise cette folle journée, pour l'obliger a vivre sa vie, à la réaliser face à des parents absents. C'est bien cette amitié, ce décalage de sens, l'objectif réel de cette journée de bêtises, qui font de ce film un très bon et surprenant film. L'air de rien, le réalisateur John Hughes tord le genre et nous offre, perdue dans le milieu des années 80, une analyse fine et drôle de l'adolescence. Tous les acteurs y sont parfaits comme Alan Ruck qui joue Cameron Frye ou encore l'incroyable jeu comique de Jeffrey Jones le proviseur, l'un de ces acteurs de second rôle dont on connaît la tête vue dans des dizaines de films en ne se rappelant jamais le nom car jouant toujours des rôles méchants, bêtes ou stupides.


Dans mon souvenir persistait une scène qui m'avait à l'époque ému, ému à pleurer, oui. Je suis comme ça.
Dans cette folle journée, Ferris traîne son ami Cameron et sa petite amie au Musée de Chicago. Déjà, vous me direz qu'il y a plus fun pour des adolescents que le musée. Justement... Ici, c'est déjà un indice de ce que la volonté de Ferris est celle d'une émancipation à la fois de l'adolescence mais aussi du genre filmique ! En quelques scènes, quelques plans fixes, le réalisateur nous montre des gamins soudain pris par le mystère d'une œuvre, le trouble qu'elle porte d'abord par une vision amusée puis soudain par une scène d'une beauté inouïe :



On s'étonne déjà que dans ce genre de film, le réalisateur prenne le temps, par des plans fixes, de nous montrer des œuvres d'art sans autre sujet qu'elles-mêmes. C'est bien une altération, un inattendu brisant ici la continuité du genre. John Hughes sait bien que cela troublera le public venu pour autre chose.
Puis en 14 plans fixes, alternant le regard de Cameron à la disparition du regard de l'enfant (oui...) dans le tableau de Seurat, Un Dimanche après-midi, à l'île de la Grande Jatte, John Hughes fait un travail cinématographique d'une puissance rare et d'une efficacité due sans doute à sa simplicité technique : une pure poésie. Le regard de Alan Ruck, parfait de jeunesse, chargé d'une vie en doute, surpris par la Beauté de l'Art, par son indéfinissable matérialité, fait le reste. Je me suis passé cette scène encore et encore tant je reconnais dans ce mouvement de l'âme, quelque chose de ma propre découverte de l'art.
Le reste du film déroule ainsi ce mystère offert par Ferris à son ami Cameron qui aura même du mal à reconnaître pour lui-même sa transformation. Il faut bien entendre et écouter les dialogues pour saisir que la plus belle bêtise de Ferris dans ce film c'est bien d'avoir offert à son copain Cameron, une nouvelle conscience de soi, la certitude que l'art est une manière de vivre. La folle journée de Ferris Bueller est un happening génial, une performance artistique dont la phase finale, violente dans ce qu'elle sous-entend du rapport au père, est l'apothéose fulminante. Là, je vous laisse découvrir...
Et si tout cela, la scène musicale, le jeu joyeux et burlesque des acteurs, la complicité avec le spectateur font un film appartenant à son genre, à son époque (1986), il nous donne le meilleur du cinéma américain : l'optimisme.
Alors, je vais ranger le DVD dans ma bibliothèque. Me restera la certitude que le cinéma américain dans ses genres les plus attendus, sait saisir avec intelligence et offrir avec générosité une perception juste de certains moments de conscience d'une vie qui s'éveille. Ce cinéma américain dans sa maîtrise du genre est le seul, je crois, apte à faire ainsi des films intelligents en ne faisant pas des films intellectuelsEt John Hughes, ici, libère un adolescent par un autre adolescent. Il fait grandir.
Merci.

Et un petit amusement supplémentaire...

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