Vendredi j'évoquais à Thibault Averty (l'un de mes étudiants) la référence favorable et possible de l'un de ses travaux en cours avec les tableaux-pièges de Daniel Spoerri.
Il était question alors d'appropriation et de basculement du sol sur le mur d'objets vus, photographiés, emportés, acrrochés et regardés de nouveau avec leur traces et leurs couleurs mais surtout avec l'énergie contenue dans leurs matières et des accidents de leur vie d'objets de peu.
Je promis à Thibault de lui apporter un petit fascicule (et donc un livre important !) imprimé et édité en 1961 aux éditions Galerie Lawrence et intitulé Topographie Anécdotée du Hasard, livre trouvé sur une foire-à-tout comme on dit chez moi pour dire vide-grenier. Je crois d'ailleurs que ces deux dénominations auraient pu plaire à Monsieur Spoerri !
Dans ce petit fascicule de 54 pages que trouve-t-on ?
D'abord Daniel Spoerri définit son objet éditorial dans un petit texte que vous pourrez lire ci-dessous. Puis vient la description de chacun des objets de ce tableau-piège avec parfois des digressions sur les personnes rencontrées, sur des textes lus sur les objets ou même une conversation enregistrée entre R. et D. dont j'ai du mal à décrypter de qui il s'agit ( Robert Filliou et Daniel Spoerri ?).
Vient ensuite la liste des noms cités dont le R renvoie bien Filliou puis, enfin, le dépliant du plan de cette topographie, reprenant par le contour les objets posés sur la table.
J'avais, j'avoue, oublié l'importance de ce petit livre.
Il y a là dans ce désir de saisissement et de maintien du tout une volonté farouche de ne rien perdre, une lutte terrible contre le temps et aussi la certitude que l'immédiateté, l'instantanéité même de la vie valent bien certaines grandeurs de l'exceptionnel. Nous sommes comme les archéologues qui rencontrent dans le fantôme d'un corps moulé à Pompéi la réalité de son existence, une forme totale de l'histoire, sa palpation même. C'est en cela que ce Nouveau Réalisme fut nouveau. Et puis, il y a aussi, comme chez Pérec désireux de tenir le moment d'une terrasse de café en décrivant tout ce qui passe, il y a aussi donc, une multitude des petits riens, des détails, un sentiment vertigineux d'en être, d'y revenir, de le maintenir. C'est bien aussi comment, à partir d'une image, celle du plan topographique ou celle de l'objet verticalisé, on produit de la narration dont on ne doute pas de sa réalité tant elle est ancrée dans le réel d'un objet. C'est drôle, émouvant, tendre même car, en fait, on connaît tous ce genre. Nous avons tous des objets de rien qui portent en eux non leur essence mais une charge narrative liée à des souvenirs dont on sait parfois leur relative perfection, ici appuyée par la seule et irrémédiable présence de l'objet. Ce n'est pas pour rien qu'au début de son livre, Daniel Spoerri évoque... Sherlock Holmes et Pompéi. Ne m'offrez pas un caillou ou une branche, je les garderai toute ma vie, j'en ai plein mes tiroirs.
J'avais oublié cette charge sans doute trop vite pris par un anecdotique au lieu d'un anécdoté... Et, lors de la sortie du livre de ma bibliothèque, cette erreur d'énonciation me troubla.
Alors, j'aurai plaisir à montrer ce petit livre à Thibault Averty. J'aurai plaisir à lui dire que, finalement enseigner c'est aussi parfois se souvenir mal sans que cela ne soit très grave lorsque cela déclenche, à la fois pour celui qui enseigne et celui qui reçoit l'enseignement, une complicité née sur une justesse retrouvée, définie et aimée.
Il faudra à l'élève, à son tour, faire le tour de ce tableau-piège avant d'y tomber. Il pourra choisir de s'y laisser prendre mais on sait qu'un piège n'est plus un piège quand il est désiré. Restera le tableau. Et une recette étrange de raisins secs et de préservatif.
Quelques extraits que vous lirez plus facilement en cliquant sur les images !
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