samedi 26 août 2017

le Sida serait Vintage ?

Je ne fais pas partie de la communauté homosexuelle. Je n'ai jamais voulu penser y appartenir mais le visionnage du film de Robin Campillo me permet de dire que, sans doute, je me suis trompé. Je suis de cette génération dont le saisissement de son homosexualité est arrivé au même moment que la révélation du Sida. Autrement dit, il fallait à la fois affronter la reconnaissance pour soi d'une sexualité hors normes et du danger que la vivre pleinement pouvait engendrer. Engendrer ici est un drôle de verbe. Je n'ai jamais non plus voulu céder aux sirènes du coming out, préférant laisser l'autre définir ma sexualité, l'imaginer ou même croire que je n'en avais pas. Cette suspension était un leurre à ma peur et je le comprends depuis quelque temps maintenant. Et le coming out qui eut sans doute un rôle politique reste un geste d'une très grande violence. J'ai eu peur. J'ai toujours peur. Sans doute, je suis passé à côté d'une grande partie de joies possibles, d'amour d'un soir, des jeux heureux ou malheureux des rencontres. Je n'ai pas eu cette vie si évidente et si médiatique du PD sortant en boîte, baisant dans les parcs, jouissant sans entraves sur des rythmes endiablés. Non. Et je ne le regrette pas. C'est comme ça. C'est ma Province. Souvent, pendant toutes ces années d'homosexualité transparente, j'ai vu comment l'image construite de cette communauté était toujours la même et ce n'était pas la mienne. J'enviais les gays ayant une attitude laissant sans ambiguïté apparaître leurs différences comme on dit si gentiment. J'aimais l'extravagance mais vivais dans ma retenue.
Alors, souvent, lorsque je visionne un film parlant de l'homosexualité et que, celle-ci n'est montrée que par ce biais joyeux de la Folle qui s'affirme, je sais que c'est un mauvais film. Il n'y a pas d'homosexualité, il y a des homosexuels. 120 battements par minute est un film qui évite absolument, plan par plan, ce risque. C'est un film d'abord sur le combat, son organisation, l'amour qui en est le moteur. Le Sida y est montré, je crois, sans concession et c'est la moindre des choses. Une scène m'a permis de comprendre que Robin Campillo non seulement n'était pas tombé dans une nostalgie pourrie des années Sida mais qu'il nous fait signe d'emblée qu'il n'ira pas sur ce terrain. Sean, le héros principal, regarde la nuit tomber sur Paris et commence un monologue sur la Beauté, sur le fait que depuis le Sida il se sent vivre plus fort, être plus lucide. Dans la salle, je ne sais comment dire, mais j'ai senti la complaisance, la pitié et aussi l'amour de certains spectateurs pour ce type qui sait aimer la vie malgré tout et presque à cause du Sida. Et d'un coup, Robin Campillo retourne la situation et tout en faisant se marrer Sean sur sa déclaration par trop poétique, il lui fait dire : "non je rigole". On sait alors que l'esthétique de la compassion ne passera pas par ce film. Les visages sont filmés serré, durement, les pilosités des coupes de cheveux, des poils, des nuques, des culs, tout est regardé, aimé, comme si nous pouvions souffler dessus. C'est curieux sans doute comme détail et cela va certainement vous faire rire, mais c'est la première fois que je vois clairement du sperme représenté dans un film non pornographique. Et il est l'occasion d'un fou rire là aussi libérateur sur un moment pourtant lourd de sens, comme si son apparition, son éjaculation étaient les preuves d'un devoir de contredire là aussi un sentiment trop compassionnel.
Alors, la sortie de ce film a été l'occasion de remettre ce combat contre le Sida sur le devant de la scène médiatique. Et c'est tant mieux car le Sida est là, malheureusement vivant, présent, actif. Mais certaines personnalités intellectuelles ne peuvent s'empêcher de s'en emparer, de se saisir de cette nostalgie bourgeoise pour nous raconter l'esthétique de l'émancipation, les joies des manifs ou la beauté des pancartes (France Culture il y a peu)... Vous verrez que bientôt le Sida sera Vintage. Récupération comme on dit. On parlera des années Sida comme des années folles ou de Mai 68. Je n'ai pas combattu le Sida, je n'ai pas lutté, je n'ai pas défilé. J'ai eu peur.
Je ne veux dire merci à personne même pas à ceux qui eux ont fait ce combat. Non. Car cette lâcheté d'engagement n'aurait pu être alors combattue que par la présence de l'amour ou de la douleur. Je ne pouvais ni singer l'un, ni imiter l'autre. Je suis passé au travers avec la peur. Et je ne veux pas aimer ce film pour croire que je résilie ma dette à leur égard.
Mais lorsqu'une œuvre permet de vivre, planqué derrière un écran de cinéma, une action pour laquelle on a été absent, la moindre des choses c'est de ne pas tomber dans l'illusion d'y avoir joué un rôle ou de regretter cette période. Jamais, jamais de nostalgie du Sida. Il y a aujourd'hui tellement de New wave de 50 ans qui vous racontent leur première coloration, tellement de soixante-huitard devenus cadres supérieurs ou de punks du dimanche que le combat du Sida n'a vraiment pas besoin d'une telle trahison de l'histoire, toujours prête, ici, à faire de tout une esthétique. Le combat pour le Sida c'est maintenant, encore, encore, encore. Ce film interroge au moins autant les structurations d'un groupe au combat que la maladie elle-même. Pour quelle raison fondamentale on combat ensemble ? Les intérêts de chacun devant trouver une action commune, il apparaît dans ce film que cette agglutination de raisons et d'objectifs produira une énergie qui permet d'échapper à l'abattement sans pourtant ne rien oublier de la désillusion forcément, forcément fatale. C'est bien là la grande qualité de ce film.
Les rôles féminins sont particulièrement bien travaillés.
120 battements par minute dans sa construction cinématographique, dans l'insertion du réel dans la fiction, dans le jeu des acteurs (le réalisme des prises de parole en public y est magnifique), dans le lieu même du regard de la caméra (son placement), est donc un très grand film.

Je finis cet article par deux de mes propres révélateurs. On n'échappe pas à certaines icônes surtout quand celles-ci vous libèrent encore :





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