mercredi 9 août 2017

Je déteste les dessins d'enfants

Disons que je n'ai aucun regret des miens.
Je ne me souviens que trop bien, enfant, de ma peine de ne pas savoir bien dessiner pour regretter cette naïveté à laquelle on attribue si facilement aujourd'hui des qualités de vérité, de tendresse, ou même de pureté primitive. Il y a dans les dessins d'enfants une manière sincère de vouloir représenter le monde, de jouer avec, de le tenir et surtout de le faire apparaître. C'est bien là que tout se tient et qui ne doit jamais disparaître, cette croyance (certitude ?) que dessiner c'est faire apparaître un monde pré-existant mais invisible à celui qui ne sait pas le mettre ainsi au monde.
Alors, dès qu'on évoque la liberté des dessins d'enfants, je frémis, dès que l'on me raconte leur Vérité, je fuis à grandes enjambées. Je ne peux que me réjouir d'entendre un enfant expliquer ses traits et ses couleurs et je comprends toujours la violence que cela représente pour lui que nous ne reconnaissions pas ce qu'il a dessiné. C'est tout. Et puis, aussi, dire tranquillement que rien n'est plus stéréotypé que les dessins d'enfant au point que tout le monde les reconnaît comme tels ou que, avec beaucoup de chance, il est aisé de les imiter ou de les maintenir dans son monde d'adulte.
C'est exactement le cas de ce livre de Régine Deforges :



Lorsque j'ai trouvé ce livre, j'ai d'abord vu la couverture et l'objet que j'ai reconnu immédiatement comme un livre pour enfants et, dans le même temps, je me suis demandé qui pouvait oser donner aux enfants comme images, des dessins si proches d'eux. À quoi cela sert-il ? Et à qui cela sert-il ? Régine Deforges nous explique la création de ce livre sur le dos du cartonnage avec un étrange et sans doute inévitable "Avis pour les grandes personnes". On y voit ce désir que le dessin soit un moyen de traduire, de faire comprendre le texte. Le dessin devient pour elle un objet de liaison avec l'enfant, avec son monde, sa candeur. Si je peux aimer ce moment, en comprendre le rôle fondamental pour lequel il n'y a rien à dire, il reste que ce dessin, comme coulé dans le monde enfantin, dans ses naïvetés attendris ne me touche pas. C'est sans doute qu'il me manque le moment même de sa venue, cette complicité de table ou de lit lorsqu'un adulte lit un texte avec et à un enfant. Je le répète, je ne peux rien regretter pour cette part.
Dois-je pour autant tomber dans le piège de la tendresse ? Car si l'imaginaire doit rester ouvert, si l'illustration doit toujours permettre une traduction, je suis dans le même temps autant attendri par ce projet de Régine Deforges qu'agacé par cette évidente stratégie éditoriale.
Car la grandeur de ce travail aurait du rester intime, comme un secret, comme un objet tenant par la chaleur de la voix, la proximité des corps, la douceur de la maisonnée autour d'un texte : une complicité pudique.
L'enfant n'a pas besoin de se reconnaître dans son trait. Il aime être subjugué. Croire qu'offrir une image proche de celle produite par son âge permettrait d'entrer en contact avec son âge me semble bien une mauvaise voie. Si, adulte je peux me réjouir de la simplicité aisée et maladroite des dessins des enfants, je crois qu'à l'inverse l'enfant a besoin de plonger dans son étonnement du saisissement du réel par des lignes pour entrer dans l'imaginaire d'un auteur et comprendre mieux le sien.
Enfant, je me souviens avoir regardé avec intensité comment Hergé réussissait avec si peu de lignes à dessiner un simple verre d'eau, à saisir la transparence du verre, de l'eau, l'épaisseur de la matière et même l'éclat de la lumière sur la surface. Voilà de quoi j'avais besoin pour entrer dans son monde, non pas une maladresse qui me faisait signe mais une maîtrise assumée et délicate d'une économie de lignes.
Alors je reste dubitatif sur cet objet éditorial car il est fondé sur le jugement de beauté de l'enfant qui reçoit ce moment, moment qui est impossible à reproduire, à enregistrer. C'était le piège à éviter. Il fallait donner le mode d'emploi et non montrer son résultat.
Et si j'aime parfois ma maladresse, mon dessin un peu tordu, mal placé, un rien raté, je ne me réjouis pas que ce soit mon enfance qui parle, je m'accuse simplement et joyeusement d'être encore un peu maladroit. Alors, je jalouse l'ami(e) dessinateur(e) qui lui y serait arrivé, qui aurait trouvé une idée graphique que je n'ai pas eue. Sans doute aussi parce que je ne suis pas doué, que je suis un laborieux, de ceux qui doivent apprendre et pour cela se réjouissent de ceux qui trouvent au lieu de croire qu'ils seraient trop perdus dans leur maîtrise. 
Et je déteste lorsqu'on me demande ce que j'ai voulu dire en faisant tel ou tel dessin. Je n'ai rien à dire, rien, je le dessine. Et je déteste aussi que l'on me dise que mon travail doit plaire aux enfants car ils ne sont pas un genre, un groupe, une entité. J'aime que mes dessins puissent plaire à certains comme ils peuvent plaire à certains adultes. Je me méfie du jugement de joliesse desdits enfants.
Pourtant j'ai acheté cette Apocalypse de Saint Jean Par Régine Deforges. J'aime toujours les pépites, les égarements. Être étonné, agacé est tout de même être quelque chose.
Il y a là sans doute une grâce qui passe dans les couleurs des feutres, la blancheur des espaces, l'immédiateté de la traduction, quelque chose des Pâques Mexicaines.

L'Apocalypse de Saint Jean
Régine Deforges
éditions Ramsay, 1985.
95 Fr ! Tout de même.












mardi 8 août 2017

Tout au poil de cul

Voilà que viennent s'ajouter à la pile silencieuse de mes tirages lithographiques, deux nouvelles planches aquarellées que vous regarderez depuis cet écran et que vous vous refuserez à venir voir pour de vrai, à me demander quoi que ce soit sur mes choix, à la limite mettrez-vous un like sur Facebook pour se rassurer mutuellement que nous sommes amis et que nous nous intéressons les uns les autres à notre travail. Je fais pareil.
Puis, je rangerai ces deux tirages dans le grand carton à dessin bleu, au pied de mon lit car j'ai toujours peur qu'il leur arrive quelque chose, en bas, dans le sous-sol. Je dors presque avec eux.
C'est comme ça.
Merci d'être encore là.
Alors les plus fidèles, ceux qui connaissent un peu mieux mon travail, remarqueront que les deux planches sont bien différentes. Il y a bien quinze ans d'écart entre les deux. J'aime bien depuis peu revenir en arrière et mettre en couleur les premières planches. La première que vous verrez est la plus récente, la seconde la plus ancienne.
Tout au poil de cul.
Bonne lecture.


















































































































samedi 15 juillet 2017

les noms propres et colorés du Larousse

J'en ai mis du temps à vous faire l'article !
Je ne sais pas bien pourquoi.
Ce n'est pas grave, car, finalement, tout cela n'a aucun sens.
Je veux dire que tout cela est inutile et comme le dit de sa superbe voix Marlon Roudette dans sa chanson Big City Life :

Soon our work is done
All of us one by one
Still we live our lives
As if all this stuff survives


Oui.
Alors, je vous donne quelques images de cette mise en couleur. Vous devriez pouvoir voir cette épreuve aquarellée bientôt au Mans. Pour de vrai. Peut-être que ça changera quelque chose que vous puissiez la voir pour de vrai.
Sinon, j'ai mis en vente ma presse lithographique. En espérant qu'elle trouvera un bel atelier qui saura l'utiliser correctement  avec passion et usage :
https://www.leboncoin.fr/equipements_industriels/1161168752.htm?ca=11_s
Pour revoir les autres articles concernant cette épreuve :
http://liaudetlithographies.blogspot.fr/2016/12/aquarelleur.html
http://liaudetlithographies.blogspot.fr/2016/07/les-noms-propres.html


































































samedi 10 juin 2017

Georges Perec, une histoire vraie

Parce que je tombe aujourd'hui sur une page reproduisant des Polaroïd réalisés par Georges Perec dans le très récent album des éditions de La Pléiade écrit par Claude Burgelin, me revient à la mémoire une histoire vraie qui me lia à ces photographies, prévues d'abord pour servir à Jacques Poli et Georges Perec à réaliser un travail commun qui ne put malheureusement pas se concrétiser.
Ma chance fut que Jacques Poli était enseignant dans mon école des Beaux-Arts de Rouen et que, ayant déjà réalisé des travaux très perecquien (que vous suivez ici-même), ce dernier me confia, comme à d'autres artistes d'ailleurs, par l'intermédiaire de mon cher Jacques Ramondot l'un de ces Polaroïd :


Il nous était demandé alors de librement interpréter artistiquement ce cliché produit par l'écrivain lors d'un voyage Le Havre-New York sur un cargo porte-containers afin de réaliser une exposition. Il faut dire ici que ce geste de dispersion des Polaroïds de Perec par son ami Jacques Poli était un geste extrêmement ouvert et généreux.
La mer, l'horizon flou, la géométrie des containers, tout cela me fit immédiatement penser que l'aspect maritime était prépondérant.
Je fis donc réaliser une copie de ce Polaroïd puis j'en fis faire un puzzle tentant d'imiter là le travail de Gaspard Winckler dans la Vie mode d'emploi mais surtout tentant de définir ma très grande proximité morale avec le héros de ce livre, Bartlebooth que je considère comme mon modèle artistique absolu.


Je dédiai ensuite chacune des pièces de ce puzzle (merci de prononcer pussle et non peusole comme c'est la mode aujourd'hui) à l'un des bateaux présents dans l'œuvre de Jules Verne, inventant là, à nouveau l'enchevêtrement des références maritimes et intertextuelles de Perec.
"Regarde, de tous tes yeux, regarde" étant la dédicace en tête de l'ouvrage La vie mode d'emploi.
Une seule pièce de ce puzzle reçut un autre nom de baptême. Je la nommai simplement et logiquement Georges Perec.
Sur un petit voilier Tirot en bois, de ceux qui d'habitude imitent dans la tête des enfants, sur les bassins des jardins publics, les croisières au long cours, je plaçai la pièce Georges Perec et je baptisai le petit navire de ce même nom. Le Georges Perec fut complété d'un message donnant mon adresse.




Depuis le voilier Synergie, telle une bouteille à la mer, grâce à la complicité de Philippe Martin et de son fils Baptiste, nous avons pu larguer, toutes voiles lâchées et selon les conseils de Philippe, le Georges Perec que nous vîmes s'éloigner à une vitesse fulgurante au large de Saint-Vaast-la-Hougue. C'était pendant l'été 1996.

Baptiste Martin filme le largage du Georges Perec.

Votre serviteur prépare les Polaroïd.

Philippe Martin barre le Synergie.




Le 14 avril 1997, jour exact du décès de mon père, je trouvai dans ma boîte aux lettres une enveloppe provenant du Danemark. Alors même que je pressentais le contenu de ce courrier, je ne pus ouvrir ce courrier, trop écrasé par des signes me débordant outrageusement, comme si ce message venu de loin, venait en fait de trop près.


Pourtant, il me fallut me résoudre à croire en ce signe et découvrir alors une lettre, une carte manuscrite avec une croix comme une carte au trésor et surtout, surtout, la petite pièce fragile du puzzle parfaitement emballée. Elle était donc de retour.




Le Georges Perec a donc parcouru la Manche, montant vers le Nord, sur les plages du Danemark, il fut trouvé échoué la veille de Noël par la famille Vorager-Pedersen au grand complet.
Le chien s'appelait Magic.
Alors, le jour du vernissage de l'exposition, je pus remettre la pièce du puzzle à sa place, achevant ainsi à temps l'image incomplète de ce Polaroïd. C'est Catherine Schwartz qui me photographia.
Tous les signes, je vous dis, tous les signes.








Je décidai aussi, dans le Break Renault Nevada malheureusement récemment hérité de mon père, de faire le voyage vers le Danemark pour revoir le Georges Perec appartenant maintenant à la famille Vorager-Pedersen.
Avec Emmanuel André, nous fumes bien reçu par cette famille. Tranquillement, à la mode danoise certainement. J'ai laissé là-bas, dans ce pays venteux, ce bateau. Il était en parfait état, seul le mât étant brisé. Je ne sais pas, maintenant, ce qu'il est devenu. Est-il encore dans cette famille danoise ?

Oui, c'est bien moi à gauche. Le Georges Perec est à nos pieds, au lieu exact de sa découverte.
Emmanuel André fait la photo.
Qu'importe !
Il me reste un récit, une image, une pièce et sans doute l'un des plus émouvantes preuves que les voyages, les abandons, les œuvres morcelées et ceux qui partent avec eux composent tout de même si ce n'est de l'art (quelle importance !) au moins un sentiment profond et dur mêlant ensemble une joie intense et sans regret à ce que Georges Perec appelait La Disparition.
Il m'arrive encore parfois de descendre dans mon atelier et, frénétiquement, de vérifier que je possède bien cette pièce de puzzle nommée Georges Perec ayant une peur immense de la perdre.
Ne rien perdre. Ne rien perdre de cette histoire.


Si quelqu'un rencontre Claus ou Bodil Vorager-Pedersen ou leur fille qui doit avoir maintenant 26 ans (et dont j'ai oublié le prénom...), qu'il leur souhaite le bonjour.
Pour en savoir plus sur le projet et sur l'exposition, vous pouvez vous procurer la revue Tem :