Ici, c'est à la fois à la Villa Californie et dans le livre de David Douglas Duncan le petit monde de Picasso.
Acheté ce matin sur un vide-grenier, je connaissais certaines des très belles photographies nous montrant le Picasso intime et joyeux, photographies qui ont fondé en quelque sorte cette image d'un artiste total dont le quotidien était art, famille, jeux, enfants, animaux, bordel génial et ordre personnel. Le photographe de guerre et grand reporter David Douglas Duncan vit avec la famille dans la maison, en suit les soubresauts des visites désirées et inopportunes. Il photographie l'étendue des registres abordés par Picasso : peinture, céramique, gravure, dessin et aussi l'ensemble des transformations masquées et heureuses de l'artiste.
Certaines rencontres sont attendues comme Cocteau ou Yves Montand et Simone Signoret mais d'autres plus improbables nous amusent et nous donnent à voir sans doute un Picasso incroyablement enfantin et sérieux dans ses amitiés. La visite de Gary Cooper est à ce titre la plus belle. Le cow-boy rencontre le torero. Hommes de vaches au pistolet Colt 45 faisant des cartons dans le jardin avec l'innocence apprise de la foule des enfants jouant avec les sculptures et les chiens, la chêvre et tout ce qui est libre.
David Douglas Duncan écrit bien, simplement, sans jamais contredire le Maître ni d'ailleurs avoir quoi que ce soit à lui reprocher. L'accueil est chaleureux et l'auteur-photographe tient à nous rappeler plusieurs fois que Picasso lui répète que "vous êtes ici chez vous."
Les photographies alternent avec un texte sur feuillet bleu riche d'anecdotes et d'impressions. La mécanique de précision qu'était Picasso y apparait avec beaucoup de corps, de l'emplacement du pot de chambre au chapeau de Gary Cooper porté comme un trophée. Si Conversations avec Picasso de Brassaï reste pour moi, le livre à lire pour entendre Picasso, celui-ci est sans doute celui qui le donne à voir.
La pagination, la qualité éditoriale de l'héliogravure faite par Burda en font un objet d'une grande beauté. Je regretterai pour ma part le montage un rien poussé du portrait de Picasso en face à face avec une photo de guerre de Duncan. Inutile dramatisation d'un regard sur un corps mort.
Le reste est superbe, et vous aurez envie d'aller manger un poisson avec l'espagnol, de caresser son chien, d'approcher son ombre.
Comme ici, on aime l'estampe, on s'attachera tout particulièrement à l'épisode de Picasso graveur. On devrait dire peintre en estampe car la technique de Picasso déployée dans le livre est celle de la gravure au sucre qui tient plus de la peinture enregistrée sur cuivre que du travail d'incision qui est laissé ici à l'eau-forte et à l'aquatinte. Mais les visions de la presse dans les bas-fonds de La Californie, l'attente du maître-imprimeur Jacques Frelaut, les cadrages du photographe nous donnent bien à saisir comment l'artiste est libre, ce qui ne veut pas dire innocent. Et tout se transforme. Superbe épisode.
Pour ma part, Je suis allé, après la lecture, faire un tour dans mon jardin. J'y ai vu alors un nombre incroyable de dessins possibles.
Mon édition est de 1959 chez Hachette, il manque à mon exemplaire sa couverture. Qu'importe ! J'ai passé une heure avec Picasso.
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