samedi 31 août 2024

Mange, que je te mange

 Sur ce blog (en 2011 !) nous avons déjà eu l'opportunité de présenter le magnifique et iconique la pomme et le papillon de Iela et Enzo Mari. Voilà que toute à l'heure, sous un ciel un peu gris, je tombe sur ce très beau mange, que je te mange de Iela Mari, cette fois, seule créditée pour ce livre aux éditions de l'école des loisirs. Mon exemplaire est la première édition, datée de 1980, tout de même, ça commence à faire.

Le principe de cet ouvrage est ultra-simple mais bougrement efficace dans son histoire et dans sa mise en page. On voit un animal qui poursuit un animal qui poursuit un animal qui poursuit un chasseur qui poursuit un animal pour retomber sur celui du départ, en l'occurence ici une panthère noire. Comme le titre l'indique c'est bien la chaine alimentaire qui est ainsi stylisée. Les dessins en pleine page sont absolument somptueux ! On imagine la joie des parents à décrire les animaux et les nommer chacun leur tour et mon vendeur ne put retenir cette réflexion en me le vendant : "il a beaucoup plu à ma fille mais je l'ai toujours trouvé un peu sombre." Comme c'est bien dit et n'est-ce pas là le signe d'un bon livre pour enfant d'offrir à la fois un moment de nomination du Monde et un peu de son ordre pas toujours...joyeux ? Les contes de fées sont plein de violence, de peur, d'horreur. Iela Mari, ici, avec retenue et beauté produit un livre très emblématique de son époque et de son style : grand aplat, couleurs franches.

Mon exemplaire qui vient sans doute d'un désherbage est juste un peu taché par les rubans adhésifs de sa couverture enlevée.
Sinon...rien de bien grave. Mais que le dessin est puissant ! Magnifique !

La page du tigre est un chef-d'oeuvre !

Il semble que ce livre soit aujourd'hui épuisé. C'est dommage.
Je vous le montre en laissant quelques vides que vous comblerez de votre imaginaire.

Iela Mari
Mange, que je te mange
école des loisirs, 1980
1 euro sur le vide-grenier.



















vendredi 30 août 2024

Prendre l'air

 Mes lithographies sont de sortie et elles seront en compagnie du travail de Étienne Pressager ! 
Bonne visite.

mardi 27 août 2024

C. F. Ramuz par Vaud et Valais

 Dans la catégorie des "beaux livres", il existe une niche un peu spéciale, un peu démodée aussi, celle des albums de pays, de tourisme, de voyages. Souvent achetés au retour du lieu de vacances, offerts comme cadeau, ils étaient un peu les ancêtres des Coffee Table Book d'aujourd'hui. On trouve ainsi souvent sur les vides-greniers ces éditions magnifiquement imprimées en héliogravure avec, parfois, la chance d'un excellent photographe de paysage, comme on savait encore en faire à cette époque. Tout cela a un peu disparu, sous le doute d'un folklore un peu trop appuyé parfois, d'un certain lyrisme un rien chauvin, d'une idée du territoire un peu mythifié. Le mot Pays devient alors toujours, oui, un peu douteux. On les lit peu ces livres. On les regarde surtout.

Hors, il arrive que certains de ces albums soient de véritables déclarations littéraires où rien ne manque de la compréhension d'un territoire, à la fois une certaine idée ouverte des lieux décrits et donc aussi des images venant en confirmer la réalité, bien loin d'une recherche de signes spectaculairement identitaires.

C'est le cas avec ces deux albums qui sont, avant tout autre chose, des oeuvres littéraires d'un immense écrivain : C. F. Ramuz. Comme je suis bien trop novice dans ma découverte de ce dernier et que ces deux albums furent donc ma porte d'entrée à son écriture, je ne ferai pas semblant d'être un spécialiste mais je peux tout de même dire ma joie et ma surprise à cette écriture ramassée, savante, étonnamment visuelle et sensorielle car ceux sont les sens qui fabriquent chez Ramuz les espaces, leur descriptions et même leur géographie. Et j'avoue que sur la table des vendeurs, je fus assez étonné de trouver le nom de Ramuz associé à ce type de projets éditoriaux, surtout qu'ils furent édités tous les deux en pleine guerre, en 1943. 
Ils apparaissent alors à la fois un peu loin des préoccupations du Monde et comme des refuges un peu décalés. Mais il n'y a rien à dire là de bien particulier et je ne me vois pas poser un doute éthique ou moral sur le travail d'un écrivain comme Ramuz. Et, oui, il reste la Beauté qui ramasse tout.

Oui.

Ces deux albums se présentent avec une certaine âpreté, une certaine économie qui leur donnent une rigueur, une sorte de retenue presque sèche. Le noir et blanc de la couverture, le choix de la mise en page (et même du papier) offre au regard et au toucher une sensation assez étrange, comme si tout cela avait été édité avec un pragmatisme paysan qui correspond tellement bien à ce que écrit Ramuz sur le Pays du Valais et de celui de Vaud. On pourrait résumer cela ainsi (et je m'en excuse auprès des lecteurs de ce pays) en disant que ces albums sont si...suisses. Et c'est ce qui m'a plu immédiatement d'ailleurs surtout quand à la lecture du colophon j'ai donc vu la date d'édition.

C'est une mission bien étrange que de vouloir faire aimer un Pays par ce moyen.

Le premier :
Vues sur le Valais
C. F. Ramuz, illustré de photographies de différents auteurs
éditions Urs Graf Bale et Olten, 1943

Dans celui-ci, le texte de Ramuz est bien plus long et ouvert que dans le suivant. Il semble que l'écrivain se saisisse d'un certain régionalisme pour ouvrir son regard à un universalisme assez puissant et même très touchant dans cette période. Sa comparaison (à raison) de l'architecture populaire des montagnes suisses avec celles du Tibet ou la comparaison stylistiques des masques de Lötschental sont à ce titre particulièrement touchantes et justes. Les débuts du texte de Ramuz nous promènent avec délectation dans les arcanes géologiques et géographiques de la fabrication d'un tel espace et de ce qui le détermine donc culturellement. C'est toujours ce point qui est appuyé par l'auteur : comment un lieu détermine des modes de vie, comment finalement aussi ces modes de vie produisent, chez le regardeur, de la littérature, c'est à dire une ouverture pour tous de ces mondes qui pourraient sembler bien loin et pourtant dans lesquels on peut se reconnaître.

La mise en page de toutes ses photographies provenant d'auteurs variés est solide, elle place en pleine page de grandes images qui se touchent, se frottent, se complètent avec une belle unité stylistique que la belle impression de chez Otto Walter SA Olten rend parfaitement. Aucun noir bouché, aucun gras, tout est piqué, délicatement bien sorti. On ne regrette pas la couleur, elle est partout dans les valeurs de gris et dans le texte de Ramuz.

Le second : 
Pays de Vaud
C. F. Ramuz, 81 photographies de Maurice Blanc
éditions Jean Marguerat Lausanne, 1943

D'abord on s'étonne qu'il s'agisse ici de deux éditeurs différents au vue de la proximité des choix éditoriaux. Je ne sais pas comment Ramuz avait articulé ces deux commandes. La grande différence ici étant que le photographe Maurice Blanc est le seul crédité et qu'il pourrait même sembler être un peu comme un véritable co-auteur de cet album. Pourtant, dans le texte,  Ramuz ne fait strictement aucune allusion au travail de Maurice Blanc le photographe...comme s'il n'avait pas vu les photographies, ni participé à leur choix et, sans doute, encore moins tenté d'interagir avec son écriture sur ce choix d'images. Maurice Blanc est-il allé sur place suite à la lecture du texte ? Avait-il déjà un choix d'images à proposer à l'éditeur et à l'écrivain ? Maurice Blanc on le connait bien si on connait Le Corbusier puisqu'il fut un grand photographe de Ronchamp notamment pour des cartes postales. (voir mon autre blog)
Reste un album dans lequel, là encore, il n'y a rien à redire de l'impression ou de la mise en page souvent très solide (comment on fait toucher le bord haut d'une image avec la ligne d'horizon d'une autre...). On pourrait aujourd'hui trouver tout cela un peu régionaliste, un peu fabriqué dans des imageries populaires attendues de l'esthétique des pays de montagne. Mais, en 1943...aucun doute sur la réalité du monde décrit et enregistré ainsi par le photographe et l'écrivain. Vraiment aucune raison d'en douter. Peut-être même qu'il était urgent de l'enregistrer.

Oui.

Le texte de Ramuz ici est plus ramassé, plus dru, ressemble plus à une longue préface mais reste d'une grande pertinence stylistique bien peu en connivence avec le photographe dont d'ailleurs il n'y a aucun rappel de page. On cherche même parfois les images que le texte produit dans notre imaginaire dans celles de l'album, un peu en vain. Tout l'opposé donc du premier album. Mais la levée du jour sur la montagne du Pays de Vaud est un morceau de bravoure littéraire. On y est.

En tout cas, ça ne fait pas cher la promenade en Suisse ni la découverte de l'oeuvre de Ramuz. Il faudrait interroger avec ardeur les rapprochements possibles dans ces deux albums de photographies avec un August Sander ou un Thibault Cuisset, ou, à l'opposé, avec ce qu'est devenue la photographie contemporaine et ses si fameux ciels blanchis sous Photoshop, sa pseudo-neutralité et son goût épuisant des séries de typologies dans des Atlas vains où personne ne vit (et surtout pas le photographe). Cette photographie contemporaine croit-elle ainsi échapper au folklore en fabriquant de nouveaux safaris ?