lundi 12 août 2024

Houellebecq, Chroniques Martiennes sur Lanzarote ?




Je regarde cet objet éditorial un peu étrange sur l'étal d'un vide-grenier et je suis à la recherche de son colophon avant que le vendeur, d'une voix claire et déterminée ne me dise que, pour deux euros, je pourrai tout aussi bien faire cette recherche chez moi !

Comme il a raison ce vendeur ! La monnaie échangée, je regagne mon domicile et je commence à m'interroger sur cet objet éditorial. Ce qui me saute aux yeux tout de suite c'est l'année de son édition : l'an 2000, l'année de la Science-fiction par excellence. Cela fait donc vingt quatre ans déjà...Ma surprise vient sans doute que pour moi (et pour nous ?) Houellebecq étant un écrivain contemporain, il m'est difficile d'admettre qu'il l'est depuis...vingt quatre ans au moins !

L'autre chose qui m'étonne c'est ce désir de faire cette sorte d'ouvrage, tenu dans un emboitage, donnant à lire un texte dans un cahier et, dans un autre, un ensemble de photographies de Houellebecq prises par lui-même. J'avoue, je ne savais pas que l'auteur était aussi photographe, du moins qu'il pouvait, lui et son éditeur le croire.




On a donc un objet éditorial bien tenu dont la mise en page est de Valérie Gautier certainement sous le regard appuyé et confiant de Houellebecq. 

L'ensemble dégage un peu de sérieux, quelque chose d'un peu raide, d'un peu propre, on dira chic de droite, comme une boite de chocolat venant de Province. C'est donc parfait pour Houellebecq.

Le texte est hilarant, surtout dans son début et on se demande si aujourd'hui on pourrait encore rire ainsi avec Houellebecq. Le texte raconte un séjour ennuyeux et ennuyé dans un hôtel touristique à Lanzarote avec la découverte de l'ile et de ses volcans et d'un couple de lesbiennes très ouvertes à tous les tremblements, les irruptions possibles. On pourrait d'ailleurs reprocher un peu à l'écrivain le rapport analogique et un rien facile entre la montée du désir, du moins de l'érotisme et la force volcanique, sa puissance soudaine et inattendue et toutes les explosions orgasmiques un peu vaines. On ne sait pas d'ailleurs si le je du livre est bien Houellebecq. J'ai eu du mal à le croire, voyant dans ce je bien plus une sorte de moule dans lequel l'auteur tente de nous laisser le choix de nous y couler (ou pas). Je n'ai pas résisté, j'avoue. J'ai beaucoup aimé me plonger dans les paysages, dans la mer, trainer sur les plages et je me suis construit des images tout seul, refusant de trop regarder les photographies de l'auteur avant de m'en avoir fabriquées.

Il se trouve que celles prises par Houellebecq correspondent exactement à celles que je m'étais imaginé. Je n'ai qu'un petit regret : le dédain de l'écrivain à nous montrer plus de photographies de son hôtel, des gens, des autres comme si lui suffisait, pour tout dire, la seule représentation du tellurique et du minéral, sorte de début du monde, lui dirait plus volontiers fin d'un monde, désert après la catastrophe. Certes, il n'est pas facile de passer après un John Hinde redécouvert par Martin Parr et la micro-société des touristes est une thématique aussi un rien fatiguée. Mais tout de même...j'aurais bien aimé voir comment l'auteur voyait aussi cela. L'autre chose qui me touche c'est que, venant de finir l'excellent American Black Book de Maurice G. Dantec, je vois ce dernier nommé dans son texte par Houellebecq. Et ce petit signe me réconforte tellement. Hasard ? Signe ?

Alors quoi conclure de cet ouvrage, presque livre d'artiste ? D'abord que je trouve que c'est une belle porte d'entrée pour saisir l'humour de Houellebecq et son sens de la formule assassine, ses visions parfois très déterminées sur notre monde finissant (n'arrivant pas à finir). Houellebecq y est un excellent chroniqueur de notre époque. Tout le monde dit ça et c'est vrai.

Les photographies nous font croire en une planète lointaine, Mars ou la Lune colorée, je crois que ce livre de photographies pourrait bien être comme un livre de science-fiction un peu sur le côté, qui s'ignore en quelque sorte. L'hôtel étant alors perceptible comme une sorte de base spatiale sur un Monde Lointain. Certaines photographies sont reproduites un peu floues, comme si ce désir d'absence de netteté devait nous en donner à voir bien plus le doute de photographier ceci ou cela que le désir plastique ou conceptuel sur l'acte de photographier.

Car c'est bien aussi un livre sur la photographie et bien plus encore sur le photographique que nous propose là Houellebecq. Une certaine idée du cadre et de ce qui s'y déroule dedans et dehors. En ce sens, le personnage du flic belge dépressif finissant dans une secte est l'exemple parfait de celui qui trouve là à Lanzarote un échappatoire, une occasion de fuir du cadre.

Il est aussi évident que les photographies furent bien prises par Houellebecq et non par le personnage de son livre. Elles sont trop, en ce sens, des Chroniques Martiennes.

Leur presque banalité fait référence bien entendu au texte de Houellebecq où celui-ci se moque des hordes de touristes faisant tous la même photographie. À ce jeu, pas certain que finalement l'écrivain s'en sorte mieux que quiconque. Le piège de Lanzarote pourrait bien être la photogénie absolue de son vide dans lequel Houellebecq est tombé comme tout le  monde. Il ne reste alors que les soubresauts iconiques d'une abstraction des paysages, le charme des matières, l'injonction à composer avec le peu, une graphie de l'aride, piège bien connu en effet du photographe dans un désert.

Tout le monde c'est Houellbecque, c'est le personnage qu'il feint d'être, désabusé, heureux de récupérer quelques menus plaisirs avant de reprendre l'avion (comme on prend la mort). Un livre donc infiniment joyeux et dépressif en même temps, un livre d'espoir sur l'hédonisme fabriqué mais tout de même puissant, tout le contraire donc d'un écrivain épuisant par ses récits de voyages comme un Sylvain Tesson, sorte d'aristocrate de l'ailleurs.

Enfin, je crois que je vais tout faire pour cet ouvrage devienne un livre-culte. Dépêchez-vous de l'acheter maintenant avant qu'il ne devienne le bréviaire prémonitoire de notre monde que seule une eschatologie volcanique pourra nettoyer. 

J'ai tellement envie...à mon tour, de faire le pèlerinage à Lanzarote.

Au milieu du Monde, Lanzarote.
Michel Houellebecq, récit et photos, Flammarion, octobre 2000
149 f à l'époque (ce qui était assez cher) 2 euros aujourd'hui.














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