mardi 14 novembre 2017

Être ou ne pas être et d'autres machins

Une épreuve de plus passée à la couleur.
Il faudra tout de même retrouver le chemin du dessin et reprendre le dictionnaire non plus à rebours mais en avant.
Je vous laisse lire et regarder.
Regarder surtout.
Je vous rappelle que ma presse lithographique Marinoni, format Colombier est en vente.
Ceci n'est le signe de rien.
Être ou ne pas être lithographe...
Et, surpris aussi de voir que l'étymologiste se suce les doigts et se touche le bout du nez :





























































mercredi 1 novembre 2017

Trois minutes quarante quatre secondes de liberté pure

Sur une plage dont j'imagine qu'elle est américaine et même californienne, tu décides de venir te filmer en train de danser sur le morceau Starships de Nicki Minaj.
Au milieu des gens qui se promènent sur le front de mer, au milieu des circulations horizontales, rayant le plan de gauche à droite et de droite à gauche, tu vas t'installer droit devant, vertical, dans un plan fixe que tu auras déclenché seul si on en croit le petit temps de déclenchement et les quelques pas que tu fais pour aller rejoindre ta place.
Tu as ton casque dans les oreilles et tu fais ce geste délicat et sensuel de glisser ton MP3 ou ton téléphone dans ton maillot de bain dont j'imagine que tu l'as choisi avec un soin extrême, maillot de bain un peu nostalgique, un peu rétro, qui immédiatement, alors même que tu n'as encore rien fait me dit ton homosexualité.
Et tu danses, tu danses, tu danses. Le monde entier semble alors t'offrir cette liberté, comme si le soleil lui-même était venu te rejoindre, que cette chaleur de la plage permettait simplement de s'offrir une joie que l'on désire et un peu aussi de cet exhibitionnisme sans fard du balnéaire. Tu sais que tu seras regardé car tu te filmes, tu en as le désir, tu sais aussi que les gens, les badauds passeront devant et derrière toi, tu es sur les lignes jaunes de circulation. J'aime autant, vois-tu, ta liberté que l'indifférence des gens à celle-ci. Cela me dit un espace ouvert, une politique ouverte à ton genre, le fait qu'il ne semble à aucun moment que tu n'aies eu peur ou que tu franchisses une limite. Tu sais que tu peux, là, exprimer ta joie, que tu peux montrer ton corps, le faire danser dans des postures parfois maladroites, des appuis un peu hésitants. C'est aussi ce que j'aime. Je t'imagine alors devant la glace de ton armoire, dans ta chambre, répéter ta chorégraphie faite d'un mélange gestuel de Dance Floor gay et de visionnage de chorégraphies sur YouTube. J'imagine le temps que tu as mis avant de te sentir sûr de toi, décidé, heureux de pouvoir enfin, dehors, sous le ciel faire cet enregistrement. Bien entendu, ton physique, la perfection même de ton corps à ton âge, le fait qu'il ne soit pas non plus trop marqué, trop musclé, tout offre un moment parfait dont je jalouse totalement la joie de vivre. Joie de Vivre c'est le titre d'un tableau de Matisse. C'est parfait.
Je ne sais pas si tu peux comprendre à quel point ta liberté m'a touché, à quel point elle fait écho à ma propre retenue, à quel point je pense que ce que je vois là est simplement l'une des plus belles vidéos que j'aie vue, à quel point je pense que se serre ici, dans ta joie, l'ensemble des émancipations et des combats allant de l'émergence des mouvements gay à l'histoire de la Performance dans l'Art Contemporain. Tu fais ici œuvre d'une condensation de toutes ces histoires, un resserrement dont la violence nécessaire des émancipations de tes aînés a laissé place enfin à une jubilation de l'être qui leur rend hommage. Je pense depuis longtemps qu'une partie de cet Art de la Performance est maintenant inscrite dans votre génération, assumée pleinement dans des pratiques urbaines, des médias ouverts et disponibles qui vous permettent simplement d'affirmer votre vie comme possible, joyeuse, et même ici enfin acceptée dans une indifférence des autres qui est aussi le point d'ancrage de ta libération. En fait, tu n'as plus besoin de combattre, il te suffit d'être pour que ta jubilation soit une force. Je ne te connais pas, je ne sais rien de toi, rien, même pas ton prénom. Tu es une image mouvante, multipliée, renouvelable jusqu'à l'épuisement. Cela me laisse du temps pour observer chacun de tes gestes, de tes mouvements comme par exemple comment tu gères parfois mal le câble de tes oreillettes ou comment tu remets en place ton maillot de bain. On sent bien dans certaines articulations de ton corps, dans d'imperceptibles mouvements cette sensibilité, qu'à tort les autres diront féminine. Parfois, on te voit aussi inquiet que les promeneurs puissent t'importuner.
Mais tu danses.
Et si tout devrait me déplaire comme la musique de Nicki Minaj ou l'outrance de certaines de tes postures, tout atteint un degré fulminant qui fait que, sans doute, au-delà des jugements de goût, la liberté a pris corps.
Alors, danse.
Tu riras peut-être plus tard, plus vieux, de ce que tu as osé. S'il te plaît, ne le regrette jamais. Jamais. On n'a pas à regretter que le soleil éclaire ta, notre liberté.