Affichage des articles dont le libellé est Philippe Martin. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Philippe Martin. Afficher tous les articles

samedi 10 juin 2017

Georges Perec, une histoire vraie

Parce que je tombe aujourd'hui sur une page reproduisant des Polaroïd réalisés par Georges Perec dans le très récent album des éditions de La Pléiade écrit par Claude Burgelin, me revient à la mémoire une histoire vraie qui me lia à ces photographies, prévues d'abord pour servir à Jacques Poli et Georges Perec à réaliser un travail commun qui ne put malheureusement pas se concrétiser.
Ma chance fut que Jacques Poli était enseignant dans mon école des Beaux-Arts de Rouen et que, ayant déjà réalisé des travaux très perecquien (que vous suivez ici-même), ce dernier me confia, comme à d'autres artistes d'ailleurs, par l'intermédiaire de mon cher Jacques Ramondot l'un de ces Polaroïd :


Il nous était demandé alors de librement interpréter artistiquement ce cliché produit par l'écrivain lors d'un voyage Le Havre-New York sur un cargo porte-containers afin de réaliser une exposition. Il faut dire ici que ce geste de dispersion des Polaroïds de Perec par son ami Jacques Poli était un geste extrêmement ouvert et généreux.
La mer, l'horizon flou, la géométrie des containers, tout cela me fit immédiatement penser que l'aspect maritime était prépondérant.
Je fis donc réaliser une copie de ce Polaroïd puis j'en fis faire un puzzle tentant d'imiter là le travail de Gaspard Winckler dans la Vie mode d'emploi mais surtout tentant de définir ma très grande proximité morale avec le héros de ce livre, Bartlebooth que je considère comme mon modèle artistique absolu.


Je dédiai ensuite chacune des pièces de ce puzzle (merci de prononcer pussle et non peusole comme c'est la mode aujourd'hui) à l'un des bateaux présents dans l'œuvre de Jules Verne, inventant là, à nouveau l'enchevêtrement des références maritimes et intertextuelles de Perec.
"Regarde, de tous tes yeux, regarde" étant la dédicace en tête de l'ouvrage La vie mode d'emploi.
Une seule pièce de ce puzzle reçut un autre nom de baptême. Je la nommai simplement et logiquement Georges Perec.
Sur un petit voilier Tirot en bois, de ceux qui d'habitude imitent dans la tête des enfants, sur les bassins des jardins publics, les croisières au long cours, je plaçai la pièce Georges Perec et je baptisai le petit navire de ce même nom. Le Georges Perec fut complété d'un message donnant mon adresse.




Depuis le voilier Synergie, telle une bouteille à la mer, grâce à la complicité de Philippe Martin et de son fils Baptiste, nous avons pu larguer, toutes voiles lâchées et selon les conseils de Philippe, le Georges Perec que nous vîmes s'éloigner à une vitesse fulgurante au large de Saint-Vaast-la-Hougue. C'était pendant l'été 1996.

Baptiste Martin filme le largage du Georges Perec.

Votre serviteur prépare les Polaroïd.

Philippe Martin barre le Synergie.




Le 14 avril 1997, jour exact du décès de mon père, je trouvai dans ma boîte aux lettres une enveloppe provenant du Danemark. Alors même que je pressentais le contenu de ce courrier, je ne pus ouvrir ce courrier, trop écrasé par des signes me débordant outrageusement, comme si ce message venu de loin, venait en fait de trop près.


Pourtant, il me fallut me résoudre à croire en ce signe et découvrir alors une lettre, une carte manuscrite avec une croix comme une carte au trésor et surtout, surtout, la petite pièce fragile du puzzle parfaitement emballée. Elle était donc de retour.




Le Georges Perec a donc parcouru la Manche, montant vers le Nord, sur les plages du Danemark, il fut trouvé échoué la veille de Noël par la famille Vorager-Pedersen au grand complet.
Le chien s'appelait Magic.
Alors, le jour du vernissage de l'exposition, je pus remettre la pièce du puzzle à sa place, achevant ainsi à temps l'image incomplète de ce Polaroïd. C'est Catherine Schwartz qui me photographia.
Tous les signes, je vous dis, tous les signes.








Je décidai aussi, dans le Break Renault Nevada malheureusement récemment hérité de mon père, de faire le voyage vers le Danemark pour revoir le Georges Perec appartenant maintenant à la famille Vorager-Pedersen.
Avec Emmanuel André, nous fumes bien reçu par cette famille. Tranquillement, à la mode danoise certainement. J'ai laissé là-bas, dans ce pays venteux, ce bateau. Il était en parfait état, seul le mât étant brisé. Je ne sais pas, maintenant, ce qu'il est devenu. Est-il encore dans cette famille danoise ?

Oui, c'est bien moi à gauche. Le Georges Perec est à nos pieds, au lieu exact de sa découverte.
Emmanuel André fait la photo.
Qu'importe !
Il me reste un récit, une image, une pièce et sans doute l'un des plus émouvantes preuves que les voyages, les abandons, les œuvres morcelées et ceux qui partent avec eux composent tout de même si ce n'est de l'art (quelle importance !) au moins un sentiment profond et dur mêlant ensemble une joie intense et sans regret à ce que Georges Perec appelait La Disparition.
Il m'arrive encore parfois de descendre dans mon atelier et, frénétiquement, de vérifier que je possède bien cette pièce de puzzle nommée Georges Perec ayant une peur immense de la perdre.
Ne rien perdre. Ne rien perdre de cette histoire.


Si quelqu'un rencontre Claus ou Bodil Vorager-Pedersen ou leur fille qui doit avoir maintenant 26 ans (et dont j'ai oublié le prénom...), qu'il leur souhaite le bonjour.
Pour en savoir plus sur le projet et sur l'exposition, vous pouvez vous procurer la revue Tem :



vendredi 8 juillet 2016

Les noms propres

Il fallait bien que l'on y arrive !
Philippe Martin était encore enseignant en gravure lorsqu'il m'invita à réaliser sur la très grande presse Artley, l'édition d'une estampe géante de 118 par 160 cm. Nous avions décidé tous les deux que je commencerais à m'occuper des noms propres de mon dictionnaire Larousse pour rompre un peu, vu l'exception de cette image, le travail habituel sur les noms communs. Quatre grands zincs (50 par 70 cm) sont donc gravés en taille-douce proposant de faire une illustration pour les noms propres n'ayant pas d'illustration dans la même méthode que pour les lithographies. La méthode et la contrainte sont donc les mêmes que pour les lithographies.
Évidemment un tel tirage sur un tel format réclamait une organisation sans faille, ce que nous avons pu enfin mettre en place cette semaine. L'équipe de choc était constituée de Philippe Martin, Eddy Dumont, Fabien Yvon et votre serviteur. Philippe Martin et Fabien Yvon assurèrent le premier essuyage puis je venais finir par le paumage pour que les quatre planches soient finalisées par la même main. Le papier mouillé la veille, la presse Artley bien réglée, l'énergie de tout le monde permirent de faire les dix feuilles en une journée et demie !
À part quelques duretés dans le passage en presse, le plateau de la Artley venant frotter sur le châssis de la presse, tout se passa bien. Pour les spécialistes, nous avons utilisé de l'encre Charbonnel Aqua-wash qui fit merveille.
Les tirages sont au séchage, vous pourrez donc les voir de visu ou sur ce blog plus attentivement plus tard. Mais je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous les beaux moments de ce tirage.
Les estampes sont en vente.
C'est un petit tirage sur ce format exceptionnel. 8 épreuves seulement. Dépêchez-vous !
L'une d'elles, comme pour les planches lithographiques, sera mise en couleur à l'aquarelle cet hiver.
On notera que trois générations de graveurs travaillèrent ensemble. La main connaît bien sa famille, les gestes connaissent bien leur histoire et savent se retrouver, toujours.
Je remercie l'école des Beaux-Arts de Rouen pour la mise à disposition de ses moyens de production. Je remercie Philippe Martin pour ce désir et l'occasion de le réaliser. Sans la disponibilité de Fabien rien n'aurait été possible. Merci à Eddy Dumont pour son accueil et son aide (et le café !)
En art, je ne crois pas au projet, je ne crois qu'en la pratique. Je ne crois pas aux chimères, je ne crois qu'à la présence dans le réel. Faire est le moyen de voir. Son moyen, son outil.

Une vidéo pour voir cette manipulation :



Préparation du papier :
 


















Encrage et pose des plaques :



























Soulèvement d'une épreuve :








































Rangement et séchage des épreuves :






lundi 6 octobre 2014

Mon écran s'écrit pierre

Je reçois ce matin de la part de Ianna Andréadis un catalogue qui fera sans doute date dans l'histoire de la lithographie en France.
Je vous explique.
Ce livre écrit par Franck Bordas s'intitule sobrement Un parcours imprimé. Chez nous, les lithographes, les artistes amoureux du multiple, ce nom résonne comme une mythologie solide, la preuve que nos moyens d'expression sont partagés par les artistes contemporains, que, en quelque sorte, nous vivons la lithographie solidement appuyés sur un héritage et sur une actualité.
Mais voilà...
Il se trouve que Franck Bordas après des années passées au service de cet art a décidé de faire faire à son atelier, qu'il nomme studio, le virage du numérique. Nous pourrions y voir une fin, un renoncement même et comme l'aveu que l'époque ne supporte plus que les écrans ne soient alimentés par autre chose que de l'électricité.
Pourtant, dans le ton, dans l'engagement incroyable face à l'édition, le moins que l'on puisse dire c'est que Franck Bordas n'abandonne rien ! Son histoire est ainsi faite d'une énergie toujours renouvelée qu'il puise dans une insatiable curiosité d'abord pour les artistes qu'il reçoit puis pour les questions qu'ils posent. C'est pour répondre aussi aux nouvelles exigences mais aussi en quête d'un nouveau terrain de jeu que Franck Bordas passe ainsi des matrices qui déposent aux machines qui crachent.
Pour ma part, excusez-moi, mais cela m'attriste tout de même un peu. Non pour lui qui n'a absolument pas besoin ni de mon avis ni de justification vu l'ampleur de son travail, mais pour quelque chose de secret, d'enfoui dans mon histoire personnelle et dans mon rapport à cet art. J'aimais, en quelque sorte savoir que chez Bordas, on usait encore les pierres.
Alors je ferai à mon tour de ma tristesse une énergie noire, de celle qui vous pousse encore une fois à croire que ce sur quoi vous projetez vos images est un écran : mon écran s'écrit pierre.
Dans le livre, on suit d'abord comme un listing ininterrompu les nombreuses collaborations de Franck Bordas et on en a le tournis tant la qualité des artistes, la quantité des publications, les désirs d'inventions sont à toutes les pages. Je me souviens de l'atelier mobile en Afrique qui m'avait à l'époque fait rêver. Puis vient une entrevue qui démontre une fois encore la place importante de l'imprimeur face à l'artiste, comment il faut à la fois être présent (rassurant...) et détaché pour que, toujours, ce soient les artistes qui décident et œuvrent. On trouve aussi de nombreuses photographies d'atelier, d'artistes au travail au milieu des presses et des pierres. C'est donc à la fois un ouvrage sur l'abandon et sur l'invention. C'est le tournant d'une histoire des arts imprimés en France. Souhaitons au Studio Bordas pour sa nouvelle ère numérique le même succès, la même ampleur que celle de l'ancien atelier. Il paraît que les pierres ont une mémoire. Le numérique aussi. Espérons que rien ne l'efface.
Merci Ianna pour cet envoi, comme quoi, les cartes postales, l'architecture croisent d'autres chemins.

On peut aussi se rendre à l'exposition De la pierre à l'écran, Studio Franck Bordas, Paris.
du 4 octobre au 11 janvier, du mardi au dimanche, de 10h à 18h.
Centre de la Gravure et de l'Image imprimée, La Louvière, Belgique.



Imprimerie Mourlot, Rue Barrault, 1977, photo de Franck Bordas :


Franck Bordas et Fernand Mourlot, photo Michelle Parra-Alédo :




Michael Woolwoorth, photo Michèle Parra-Alédo :


Cette presse est du même modèle que celle sur laquelle Philippe Martin réalisa de nombreuses épreuves à l'école des Beaux-Arts de Rouen. Presse qui va être sans doute détruite. Ici, presse à report, atelier Richebé, photo Ianna Andréadis :


Fernand Mourlot, Hervé di Rosa et Franck Bordas, tirage de Dirosland, 1985. Photo de Ianna Andréadis :


Une image qui me rappelle des souvenirs similaires ! Franck Bordas et Erika Greenberg, photo de Ianna Andréadis :


Pour Maximilien Vert, voici son ami Keith Haring en 1988. admirez le T-shirt ! Photo de Ianna Andréadis :







Suzanne Lafont, Situation Comedy, photo de Franck Bordas :


Lithographie de Pippo Lionni, photo de Franck Bordas :