samedi 30 novembre 2013

la Communauté d'Atlantis Contremark.


Philippe Langlois perdu dans Atlantis Contremark.
 C'était une idée un peu curieuse sans doute au départ : faire un atelier de recherche et de création autour d'un artiste. Mais il y a des découvertes et des chocs esthétiques qui fondent parfois ces idées et la découverte dans la Grande Galerie de l'école des Beaux-arts de Rouen du travail de Rainier  Lericolais avait suffi à me donner l'envie de faire avec lui un travail pédagogique. L'exposition semblait alors le lieu idéal pour cet artiste qui avait su rassembler là ses préoccupations alliant une plasticité diversifiée à une recherche pointue sur son rapport au sonore. Il me fallait en parler alors à mon collègue Philippe Langlois qui s'occupe pour une grande part de ce territoire dans notre école des Beaux-arts du Mans. Et comme après une très courte discussion avec ce dernier j'appris que Philippe Langlois et Rainier Lericolais se connaissaient très bien, il n'y avait plus aucune raison de ne pas croire que nous allions faire là un atelier parfaitement articulé.
Mais le risque pédagogique était bien visible aussi, celui de donner en pâture aux étudiants un artiste, d'en faire une sorte de modèle à des travaux plastiques ou sonores. Il a donc fallu d'abord mettre en garde l'artiste et les étudiants sur cet écueil possible tout en laissant bien évidemment la rencontre se faire. Et c'est là que la personnalité de l'artiste entre en jeu, ouvrant le plus largement possible son champ de références, ses domaines de compétences mais aussi, dans une générosité appuyée, il a su sans peur montrer sa capacité à apprendre d'un domaine technique qu'il connait moins : l'estampe. Cela forma une sorte d'égalité programmatique entre les étudiants, l'artiste et les enseignants, n'ayant par exemple, pour ma part que peu de connaissances dans le domaine du son et de la musique. Nous avions donc tous quelque chose à offrir et nos faiblesses en faisaient partie !
L'énergie de Rainier Lericolais et notre engagement à tous s'étendit vers Angers avec la participation de quelque étudiants de l'autre pôle de notre établissement ESBA TALM. Julien Sirjacq vint ainsi nous rencontrer et mettre à son tour ses compétences dans le domaine de l'édition sérigraphique et de son enseignement. L'équipe était au complet.
Il fallait travailler !
Aujourd'hui l'objet éditorial est terminé et il a pris la forme d'un coffret contenant les propositions de chacun des participants : artiste, étudiants, enseignants. Cet objet se nomme Atlantis Contremark. Il est une sorte de fusion intime entre la fragilité d'un devenir de jeunes artistes, de tentatives touchantes de se rencontrer et d'œuvres laissant à l'artiste l'occasion d'un frottement joyeux et jubilatoire à d'autres que lui-même.
Pour ma part, j'ai pris le parti de faire un enregistrement, voulant ainsi à ma manière, venir sur le terrain de l'artiste. Et comme il s'agissait d'un accueil, le contre-pied voulait que je choisisse de chanter une chanson racontant une rupture, rupture accentuée par l'univers musical dudit modèle ! Kylie Minogue est, en ce sens... parfaite.
Get Outta my way !
On trouve dans le coffret, de nombreuses expériences tentant une traduction graphique du son, d'autres utilisant machines et objets sonores comme fabriques de signes mais aussi des vidéos de performances, des enregistrements de sessions sonores et musicales. Je n'en ferai pas l'inventaire. Ce qui compte c'est d'avoir vu (et entendu !) les étudiants capables très rapidement de se mettre au travail, saisir les espaces, accepter les errements et finalement produire une édition. Comme si la communauté d'Atlantis Contremark avait permis à tous cet investissement bref et cerné en même temps.
J'avoue garder de cette expérience pédagogique un beau souvenir, celui de plusieurs rencontres avec Rainier bien évidemment mais aussi avec Julien Sirjacq et ses étudiants. La complicité amicale avec Philippe Langlois est confirmée et quelque chose de fort maintenant aussi nous lie tous avec les étudiants : Atlantis Contremark.
La Communauté d'Atlantis Contremark est composée de : David Liaudet, Philippe Langlois, Rainier Lericolais, Julien Sirjacq, Fabien Yvon, Charles Dubois, William Rezé, Julie Knaebel, Fu Yu, Thibault Averty, Pierre Bertre, Simon Puiroux, Tanguy Clerc, Ragnar Tournarie, Luka Hair, Pauline Djerfi.

Voici le coffret :





 

 

 

J'ajoute un très très court instant de l'enregistrement de la création radiophonique réalisée pendant cet atelier et édité en 33 tours pour ce coffret. C'est, je m'en excuse Messieurs Lericolais, Sirjacq et Langlois un rien grésillant...




Quelques images vous donneront un peu l'idée de l'événement !
D'abord Rainier Lericolais nous propose une impression de noir de fumée dont le très beau dessin provient de la maîtrise du lancer de toupie par l'artiste ! Inutile de vous dire que pour Fabien Yvon et moi-même imprimer une plaque de verre fut une tâche bien périlleuse mais parfaitement maîtrisée grâce au sang froid de mon arpette, Fabien.

 



 



 

C'est également Fabien Yvon qui eut la lourde responsabilité de faire les 50 épreuves tirées de la matrice de Rainier Lericolais. Matrice qui est un disque de métal percé de trous et utilisé à l'origine comme élément d'une sorte d'orge de barbarie. Il fallait tenir l'essuyage pour conserver les éléments d'oxydation et aussi les inscriptions présentes mais fragiles sur ce disque. Il fallait donc, là aussi, une belle maîtrise pour respecter le bon à tirer de l'artiste.
Fabien a tenu parfaitement son rôle.
 

Sur la demande de Rainier, on posa l'ensemble des tirages réalisés par les participants à l'atelier sur le sol, dans le hall de l'école des Beaux-arts du Mans.
Quelle belle idée ! Soudain, le hall se recouvrit d'un très beau et fragile tapis de sol en papier.
Sous nos yeux, notre travail.


















































 

 

Au premier plan, l'objet inventé par Tanguy Clerc pour dessiner : Un cylindre de CD emmanchés sur une tige de fer et qui est une sorte de compas primitif et technologique !



 




lundi 25 novembre 2013

Biographie pour Jeehyun


Jeehyun est étudiante aux Beaux-arts de Rouen et me demande pour un travail (dont je ne sais rien) de bien vouloir répondre à quelques questions biographiques.
Je trouve plus amusant pour elle comme pour moi de partager avec vous l'essentiel de ce que recoupe l'exercice biographique.
J'espère Jeehyun que vous comprendrez un peu mieux ainsi qui je suis et surtout quel mode de réponse je veux vous offrir.
Vous aurez sans doute une bonne note avec cette réponse et si ce n'est pas le cas, passez-moi mon (ma) collègue de l'école des Beaux-Arts de Rouen que je lui explique comment on travaille ! :-)
Où je suis né ?
Le 6 novembre 1967, à Elbeuf, en Seine Maritime, ici exactement :





Pour information, cette maternité était en face de l'hôpital où travaillait ma mère et juste à côté de l'école maternelle que je fréquenterais plus tard. Cette maternité fut transformée à une époque en Agence Nationale pour l'Emploi ce qui, je crois fut un signe des temps pour l'artiste que j'étais en train de devenir...
Où j'ai appris l'art ?
J'ai appris l'art dans plusieurs endroits très importants. D'abord au collège à Saint Pierre-lès-Elbeuf où grâce à un professeur d'arts plastiques, Monsieur Philippe Radigue, j'ai pu découvrir Matisse et surtout que l'on pouvait faire de sa vie autre chose que de travailler chez Renault. Passer ses journées à dessiner des femmes toutes nues me plaisait bien, jeune adolescent, même si aujourd'hui j'aime mieux autre chose.



Puis, au Lycée André Maurois, j'ai pu continuer cet apprentissage important en aimant particulièrement les cours d'histoire de l'art d'Annie Boulon qui savait nous faire aimer les artistes et l'avant-garde. C'est là que j'ai découvert l'œuvre de Marcel Duchamp qui fut très important dans cette formation d'un jeune esprit. J'étais le seul garçon de ma classe à suivre ses cours et j'aimais bien cela.



Il faut dire aussi que j'allais beaucoup à la bibliothèque du Comité d'Établissement des Usines Renault à Cléon qui avait une liste d'ouvrages très importants et notamment le Aragon/Matisse en deux volumes chez Gallimard, premier livre d'art que je me suis acheté en économisant mon argent de poche. J'ai toujours ces volumes qui sont un socle à mon travail. Poésure et Peintrie....



Le Bac en poche, j'ai cru que je serais conservateur car j'aimais surtout l'histoire de l'Art. Je suis donc parti à l'école du Louvre pendant deux années. Mais ma solitude à Paris, un manque accru de plasticité et une jalousie à vouloir faire devant les œuvres des autres me poussèrent à revenir à Rouen et à entrer à l'école des Beaux-arts que tu connais maintenant.





Me voici photographié par François Lasgi pendant cette période. J'ai beaucoup aimé cette période de ma vie et j'y ai trouvé des amis solides, des directions fortes et une écoute à ce que je suis. Je te souhaite la même chose.
Philippe Martin et Jacques Ramondot sont ceux qui ont compté et comptent encore dans mes choix artistiques. Philippe, tu peux aussi lui poser des questions, il doit avoir des souvenirs de moi à l'école.
Enfin, la littérature et surtout Georges Perec m'ont permis de saisir ma place d'artiste.




Ayant voulu longtemps être Joseph Kosuth, j'ai choisi d'être quelque part entre Bartlebooth, Topor et Saul Steinberg. Je dois ce changement, ce glissement à ma nécessité de laisser des signes dans le Monde et à mon admiration sans borne pour Jacques Ramondot dont la vie même me semble l'exact de ce que je veux être.



Tu pourras sur internet mais surtout dans ton école, Jeehyun, trouver des témoignages de qui était Jacques Ramondot.
Je te souhaite une belle journée à toi. Bonne chance dans cette école que j'aime beaucoup, salue pour moi Philippe, Patricia, Guy, François et Catherine et tous les autres. Ils te diront des choses que la pudeur et la réserve ne me permettent pas de te dire ici directement.
Bien à toi.
David

mardi 19 novembre 2013

Georges Lucas aime Roland Topor




Dans une histoire personnelle, des références parfois s'entrechoquent, puis se resserrent et ce qui semblait lointain l'un à l'autre soudain se rapproche et forme enfin une boucle dont on avait l'intuition.
Dans un numéro 61 de la revue Ecran 77, revue de cinéma, je tombe sur un interview de Georges Lucas réalisée par Claire Clouzot. Avide, je me laisse porter par ce témoignage où Georges Lucas évoque la conception du film Star Wars (la guerre des étoiles) qui vient de sortir. C'est donc un document de première main comme on dit pour un fan comme je le suis.
Soudain, mon cœur se vrille :

Claire Clouzot
Est-ce que vous aimez lire de la science-fiction, malgré les "conventions" dont vous parliez tout à l'heure ? Qui aimez-vous ?
Georges Lucas
Bien sûr... j'aime Asimov, Clarke. J'aime aussi les pervers et Topor en particulier et toute une bande de jeunes fous qui existent actuellement. Je ne peux d'ailleurs pas plus répondre à cette question qu'à la question " quel est votre réalisateur préféré ?" J'aime des tas d'auteurs...

Oui... Georges Lucas aime Topor ! Mais comment diable ? Qu'avait-il pu voir de ce dessinateur aux U.S.A ? Sans doute a-t-il vu le film de René Laloux et Roland Topor La Planête Sauvage ? Des dessins dans des revues ? Difficile à dire... Dommage que Claire Clouzot ne rebondisse pas sur ce nom car c'est le seul nom d'artiste que prononce Lucas alors que les deux autres sont des noms très communs de la science-fiction. Et que penser de l'adjectif "pervers" qu'utilise Georges Lucas à propos de Roland Topor ? C'est un rien fort comme vocabulaire (mais juste). Il faudrait là aussi vérifier la traduction et retrouver le mot exact utilisé par Georges Lucas.
Mais l'autre question qui me vient c'est de savoir si Topor avait eu connaissance de cet interview et donc de cet avis porté sur lui par Georges Lucas ? Topor avait-il vu à sa sortie Star Wars, La guerre des étoiles ? Oui, sans aucun doute. Mais qu'en avait-il pensé ? Et si Topor avait rencontré Lucas...
J'imagine que, dans un tiroir, dort une bande magnétique sur laquelle la voix de Lucas prononce le nom de Topor et, je l'avoue, je donnerais cher pour entendre l'un de mes plus éminents modèles citer le nom d'un autre ! Inutile de vous dire que je garderai ce numéro de Ecran 77 tout contre mon coeur. Et moquez-vous si vous le voulez mais que l'enfant que je fus, abasourdi par l'univers de Georges Lucas, retrouve l'adulte que je suis, autorisé à dessiner par Roland Topor. C'est pour moi l'une des plus belles raisons que je puisse trouver à aimer Lucas, à aimer Topor et à aimer finalement ce parcours d'artiste que j'ai dû faire. Alors, Claire Clouzot, si vous avez quelque part encore votre interview, si vous lisez un jour ces lignes d'abord je dois vous dire merci. L'un des mercis les plus forts et des plus vrais. Merci.
Et... Si en passant par ici ou par là, à l'occasion, vous pouviez me faire entendre cette voix qui prononce Topor, je vous en saurais gré toute ma vie... Si si si.







cliquez sur l'image pour lancer la vidéo.

lundi 4 novembre 2013

Barbouille et Caran d'Ache sont des peintres gestuels.


Merci Claude !
En regardant ce matin cette petite vidéo extraite de la série des Barbapapa dont, pour ce qui est de l'architecture, nous connaissons leur amour pour Antti Lovag et Pascal Haüsermann, j'ai aussi appris que ce dessin animé nous donnait à voir une version bien particulière de la peinture abstraite, de sa création et surtout de son jugement.
Barbouille dont le nom a lui seul suffit à éclairer le sens de sa pratique est pourtant après l'accident originel de sa création reconnu comme un peintre.
Tout tient ici dans la formation artistique du personnage. Il passe d'un peintre figuratif qui ne trouve pas le succès à un peintre abstrait peignant avec son corps, dos tourné à ses créations, utilisant le hasard comme outil principal à ses inventions. Comme si, effectivement la relation au monde, la justesse possible d'un regard sur l'objet et le réel ne permettaient plus de trouver son public contemporain qui préférerait le hasard mal ordonné, la tache, l'indétermination des gestes...
Mais cela n'est pas très nouveau et même déborde la question historique de l'invention de la peinture abstraite et gestuelle. Voyez avec cet autre exemple :














Dans cette planche du très grand dessinateur Caran d'Ache, on voit un peintre inventant son motif de ciel gris éclairé par un soleil orange par la projection hasardeuse et glissante de la peinture sur la toile, tout cela devant le client (ou critique) qui doit se protéger avec un parapluie et qui finit maculé de peinture et le pied gauche dans le pot de couleur !
Le titre : "comment on fait un chef-d'œuvre."
On notera qu'il s'agit pour cette planche d'un auto-portrait car le peintre en question signe bien la toile de son nom Caran d'Ache ! On voit également que seul le soleil permet d'identifier la toile comme figurative car, tant que ce dernier ne figure pas (au sens fort) sur la toile, celle-ci reste bien une sorte de dépotoir de couleurs dont le peintre, pris dans sa gestualité d'artiste, joue à croire en sa représentation !
On devine ici, comme pour l'exemple de Barbouille l'effet performatif de l'acte de peindre. Au-delà de ce qui est représenté, de ce qui fait peinture, c'est bien le jeu de la fabrication de celle-ci qui fonde la réalité de l'art. Le spectacle du peintre au travail, le génie de celui-ci à faire de ce hasard maîtrisé et recherché une attitude créatrice fonde la relation à la peinture comme le résultat d'une posture.
Mais la barbouille de Barbouille reste abstraite alors que celle de Caran-d'Ache doit tout de même retrouver une forme de figuration même à minima qui d'ailleurs, serait bien là son talent.
On voit donc avec ces deux exemples comment la popularisation de l'acte créatif abstrait et gestuel est possible. Le premier exemple acquiesce à l'abstraction, l'autre doit tout de même poser un jalon figuratif pour en excuser à la fois la nécessité de liberté et le génie du regard...
Les deux sont justes finalement. Les deux histoires sont racontées par un dessin très clair (ligne claire), par le réel, par la représentation pour nous amuser de ce possible en art. On notera aussi que Barbouille s'adresse aux enfants voulant ainsi aussi sans doute leur offrir l'occasion de comprendre que l'on peut peindre sans regarder autre chose que la peinture libérée (enfin ?) du réel, alors que Caran d'Ache s'amuse avec les adultes pour rire sans doute de l'image de l'artiste démiurge absolu sachant dans le chaos de la peinture voir un ciel et un soleil.
Le premier m'attriste un peu, le second me fait mourir de rire.