lundi 12 juillet 2010

Edouard Levé, Œuvres inutiles


Je viens enfin de lire pour de vrai Œuvres d'Edouard Levé.
Je dis pour de vrai car il s'agit bien d'un ouvrage dont on parle beaucoup mais dont on connaît bien plus le principe que la réalité du contenu.
Un livre décrit des œuvres dont l'auteur a eu l'idée, mais qu'il n'a pas réalisées.
Ce principe est trouble et démontre à lui seul l'ambiguïté du projet.
Un livre décrit...
Pas un auteur, non, un livre décrit.
Déjà une distance à la fois sur la responsabilité de l'auteur et sur la forme de l'écriture. Il ne s'agit en aucun cas de littérature mais bien d'une forme de description un rien plate d'actions, d'objets de désirs d'œuvres.
Mais où certains auteurs en se plaçant du côté soit de l'objectivité froide du mode d'emploi, soit dans des jeux de langues débridés formeraient un vrai exercice d'écriture, de littérature, Edouard Levé ne nous propose rien, à peine des fulgurances poétiques mystérieuses que l'on veut bien accepter comme telles pour ne pas trop perdre son temps et jouer le jeu avec lui.
Il ne s'agit donc pas d'un écrivain qui s'amuse ou au moins travaille avec son lecteur mais une sorte d'inventaire cynique d'une grande platitude littéraire. On s'ennuie de cette écriture.
Pourtant au numéro 83 l'artiste pour bien montrer son monde liste les artistes qu'il connaît. Il y a bien Raymond Roussel, Allais et Duchamp. Il y a bien là le moyen d'inscrire sa parenté vers une ironie jouée dans la langue autant que dans les images. Mais le plus pathétique peut-être c'est que dans cette liste figure l'auteur lui-même... On n'est jamais mieux servi que par soi-même à moins que l'auteur soit pour Levé un autre que lui-même. Il se fait donc considérer et reconnaître comme artiste par son propre livre... On appelle cela comment d'après vous ?
Mais parfois les maladies produisent des œuvres et au moins leurs regards nous offrent des visions sur un sujet.
L'art contemporain décrit dans ce livre est d'une pauvreté d'analyse, d'un manque de jubilation, d'une sécheresse de rapport au regardeur absolument incommensurables.
Il y a tellement de propositions et de recettes de monochromes qu'on se demande où Edouard Levé en a vu autant. Toujours il nous explique la cuisine, jamais la manière dont on les regarde les analyse où comment on en jouit.
Car cela il ne sait pas.
Toujours il prend le contre-pied des médiums. S'il s'agit de cinéma, il produit une image fixe, s'il s'agit de photographie, elle est aveuglée. D'ailleurs la photographie est toujours un moyen de constater, jamais le lieu de l'œuvre, chez Levé la photographie est un huissier de justice.
Toujours le spectateur des œuvres est leurré, trompé, empêché. L'inaccessibilité de l'objet d'art est trop souvent l'objet de l'œuvre, ce qui dit beaucoup aussi du rapport une fois de plus de Levé avec l'art.
Quand on ne sait pas jouir...
D'ailleurs son cynisme de sachant cultivé fait de ceux qui font, réalisent, des méprisés. Car finalement ce livre n'est qu'une plainte continue de quelqu'un qui n'a pas su trouver son lieu de création et surtout qui n'a pas eu le courage de l'offrir au monde et aux critiques. En se dégageant ainsi du côté de l'idée et en fermant l'objet artistique uniquement sur son élaboration mentale, il croit avoir saisi le sens de l'art, avoir réduit sa sauce à l'essentiel.
C'est sa profonde erreur car l'œuvre d'art est dans le réel et dans son incroyable présence et cela quel que soit ce réel qui peut bien porter le nom de langage parfois. Et ce ne sont pas les pièces photographiques réalisées par Levé qui permettent de croire à un autre espace de l'artiste puisqu'elles ne sont que froidement et platement la réalisation close d'une idée, d'une image.
Alors je retourne lire Alphonse Allais, Pawlowski. Je retourne surtout lire La Vie mode d'emploi de Georges Perec.
Chez eux, il y a la langue jouée, l'inventivité d'images, la conscience du lecteur et une ironie qui sait aussi s'amuser de soi.
Il y a surtout une œuvre constituée, offerte au monde sans peur sans regret parce que je crois qu'il y a chez eux une nécessité profonde à prendre le risque du réel.
Bartlebooth est le plus grand artiste du monde.
Il existe comme un modèle pour beaucoup d'entre nous qui savent que Perec nous offre avec lui un cheminement et surtout une solution contre l'angoisse.
Et si Angoisse est un village, je ne veux pas juste y passer, mais y rencontrer non pas les portes closes et ses rues vides mais les chiens errants et les mouches.

3 commentaires:

Le Dresseur a dit…

Etrange avec Sandra on s'est retrouvé à parcourir ce livre à deux cette semaine. A deux on essaie toujours de se poser, alors prise de positions et critiques valsent.

Dans cette danse je ne décrirai que mes pas

Je dis à Sandra tout de suite que je préfère les statements de Weiner. Car Weiner nous raconte des objets ou actions déjà réalisés. Sa poétique est empirique. C'est à cet endroit que se trouve la jouissance

Bien à vous

Jocelyn

justin a dit…

Levé a vécu. Les années 80. Les années 90. Jusqu'à 2007. C'est peut etre aussi un signe des temps qu'il a traversé. Des temps qui l'on traversé. Peut etre que c'est aussi cela qu'il aurait aimé nous dire. Une oeuvre et son temps. En son temps. Pendant. Il y a aussi des présence que l'on occulte et ce, bien volontairement. Alors qui fait l'oeuvre?

Justin a dit…

Oh. Et j'oubliais...qui fait l'artiste?