lundi 21 août 2023

Gustave Doré et ses traducteurs oubliés

 Voilà qu'en rangeant mes cartons à dessins remplis d'oeuvres des autres, de mes lithos aquarellées, d'estampes offertes par des étudiants et des étudiantes partant de l'école et me remerciant par un don si essentiel à ma tenue psychologique, j'aperçois un dos de livre, un cartonnage du XIXème siècle. Mais qu'est-ce que c'est que ça ? Et que fait-il là ?
Mais oui ! C'est un volume de Gustave Doré ! Je l'avais totalement oublié, je pensais n'avoir de lui que la Bible en grandes planches qui dort dans le placard métallique de l'atelier de gravure à l'école des Beaux-Arts du Mans.
Bon, certes cet exemplaire n'est vraiment pas en bel état, même si il se tient bien et il ne manque aucune page. Mais je m'en fiche un peu, tant que je peux regarder les dessins et m'en réjouir cela me va. Vous le savez, je ne suis pas un collectionneur exigeant et j'aime bien aussi les accidents révélant l'histoire de l'appropriation d'un livre. Par exemple, ici, dès qu'on ouvre le livre on remarque sur le dos du frontispice le gaufrage des lignes du dessin de Gustave Doré. Quelqu'un a fait un décalque de ce dessin et on voit parfaitement les sur-lignements du dessin. Certes, ce n'est pas très bien mais j'aime l'idée que quelqu'un a tant aimé ce dessin qu'il a voulu le copier au risque d'abimer cette illustration. Un enfant ? Sans doute. Il a peut-être été grondé pour ce désir.

On notera que c'est Gustave Doré qui porte cette édition comme dessinateur. On parle de vignettes sur bois, pas de gravures ni d'illustrations. Cela signifie bien que l'auteur c'est Doré et que le lecteur de 1874 comprend ce que recouvre cette appellation. On note aussi que les noms des graveurs de traduction, ceux qui ont réellement gravé le dessin de Doré fait sur les bois, eux ne sont pas nommés sauf dans les planches qu'ils co-signent avec Doré.
Comme souvent à cette époque. Il faut donc bien leur rendre hommage car ils ont du s'effaceraient et bien tenir le dessin de Doré. c'est à eux que l'on doit cette impression de fraicheur de ce dessin. J'ai collecté leur nom : Gusman, U. Fournier, Maurand, Sargent, OB (?), Sotain, O. Brux, F. Huyot, Trighon, J. Gauchard, H. Pisan.
On notera qu'au bas d'un cul-de-lampe, Doré note bien Inv et Del mais pas Sculp. Ce qui veut dire qu'il invente le motif et fait le dessin mais pas la gravure.

J'aime aussi beaucoup le coté très gras du trait de Doré, très plein qui est d'ailleurs bien mis en avant par cette technique qui dépose de l'encre avec solidité sur le papier. On sent bien en quelque sorte l'impression en bosse, presque le foulage. N'oublions pas que pour éditer de tels ouvrages, la typo et l'image passaient en même temps en pression.

Pour le reste...que dire de la qualité de dessin de Doré qui n'ait déjà été dit ! Oh la belle liberté des traits de plume, comme si Doré se moquait de la difficulté à rendre cette liberté fouettée sur le bois. On aime l'humour, le coté croquignolesque des figures et des tronches, la franchise de l'attaque des personnages et certaines mises en page assez audacieuses dans les plans. On se régale aussi des échelles allant du minuscule cul-de-lampe à des pages entières parfois prises dans la nuit. Par contre, Doré ne joue pas beaucoup avec le livre, ne le triture pas. La blancheur des espaces entre les textes seront les plages de ses images. Un illustrateur en force donc. Le lecteur trouvera directement la traduction en dessin de ce qu'il lit dans une complicité des imaginaires du lecteur, de l'écrivain et, bien entendu, du dessinateur qui fondera, de fait, des archétypes de cette représentation, un Fonds commun culturel si amplement maintenant pillé et retravaillé. La Rançon du succès en quelque sorte.

J'ai donc fait une petite sélection très personnelle de quelques gravures de Doré. Il s'agit plus d'une promenade que d'un guide. Si vous voulez mieux voir, venez à la maison.

La légende de Croque-Mitaine
Par Ernest L'Épine
Dessins de Gustave Doré
édition Hachette et Compagnie
deuxième édition, 1874
































Aucun commentaire: