vendredi 25 août 2023

Remettre Martin Parr à sa juste place, finalement.


...et dire que j'aurai pu passer à côté ! Mais ce risque de ne pas voir ce livre de Martin Parr est bien une volonté du photographe jouant tellement avec les codes graphiques et plastiques dans l'édition de ses livres qu'on finit par prendre ce camouflage au sérieux et ne plus voir l'humour et le second degrés qu'il représente.
En effet, sur une bâche posée sur le sol, au petit matin d'un vide-grenier, alors que mon oeil repère immédiatement le très beau Sonia Delaunay par Cécile Godefroy, je ne perçois pas immédiatement que ce mot Luxe écrit en cursive langoureuse sur cette couverture est bien là pour me dire qu'il s'y cache un ouvrage du célèbre et si (trop ?) prolixe photographe.
Simplement : je ne le vois pas.
Il me faudra l'insistance du vendeur qui me dit de le regarder et c'est presque à contre-coeur et pour lui faire plaisir que je le feuillette. Ce qui fut sans doute amusant et assez puissant c'est le changement immédiat d'intérêt dès que mon cerveau perçoit le nom du photographe. 
Retournement immédiat de valeur ! Impatience presque à l'acheter !
Ce retournement des signes par le nom du photographe est pour moi un peu comme l'effet ready-made. C'est le nom qui porte l'univers de l'objet, son décalage, sa position étrange et, d'un livre un rien triste et surfait sur le luxe, voilà que l'objet éditorial devient un livre de photographies contemporaines par l'un des plus célèbres photographes. Bingo ! Bien vu Monsieur Parr !



2 euros.
Ce pauvre prix d'achat pour ce livre est pour moi politique. Je veux dire que trouver un tel ouvrage sur le marché des petites affaires tristes d'un vide-grenier le remet à sa juste place, celle du désenchantement et de l'ironie de Martin Parr. Finalement, ce Luxe dont se prévaut le livre n'est-il pas un luxe à deux balles ? Est-ce que le travail de moquerie enjouée faussement attendrie sur une certaine bourgeoisie ne mérite-il pas lui aussi de finir ainsi, au bord de l'oubli, sur le sol humide de la campagne normande ? Un accord parfait entre le projet politique de Martin Parr, l'écart de sa représentation et de sa perte mais finalement sauvé, oui, sauvé de justesse par la reconnaissance d'une récente histoire de la photographie.

Est-ce ça la Culture ? Surtout identifier ? Faire un tri ?

C'est ma culture de l'image qui sauve ce livre de son oubli, c'est par ce savoir que je sélectionne l'objet et peu finalement par son contenu dont ma connaissance certes partielle du photographe me permet tout de même de m'amuser avec lui de nous retrouver là ensemble, à Bourgtheroulde en août.
Deux euros c'est donc ce que vaut un livre de Martin Parr quand le livre quitte les étagères des galeries, des centres d'art et des libraires. C'est, après tout, la loi du marché du livre d'occasion, livre qui n'a de valeur que celle que le futur acheteur veut bien lui donner. Depuis quelques temps, je photographie mon caddie avec les livres d'occasions que j'achète à Leclerc Occasions. Cette photographie  agit comme un constat de marché, j'ai ainsi, là,  dans ce supermarché rencontré Anselm Adams, Depardon etc...C'est une photographie de safari, le souhait de partager sur Facebook la pépite trouvée dans le ruisseau des ouvrages perdus, inutiles, sans avenir. C'est aussi la chance d'un pays où la culture populaire se construit librement sans censure et avec un faible coût. Lire ce n'est pas cher.

Mais le dédain que pose souvent Martin Parr sur des mondes qu'il feint de découvrir ou de parasiter n'est plus celui d'un type pouvant faire semblant d'être un observateur. J'oserai dire à Marin Parr qu'il est...cuit. Cuit par sa popularité, son aura, sa trop grande reconnaissance à moins qu'il fasse de cette épaisseur une sorte de marque de fabrique populaire, une entreprise warholienne. Car, à force de se dire au dehors d'un monde mais de se montrer en tirages originaux sur les murs restreints d'une bourgeoisie heureuse de se contempler (pense-t-elle) au second degrés, au lieu de croire que l'édition de livres serait sa manière de penser qu'il popularise son travail, Martin Parr prouve surtout que, maintenant, il n'est plus possible de croire en sa virginité amusée d'un monde dont il ne ferait pas faire parti.

Ce livre Luxe trouvé sur un vide-grenier où se retrouvent des classes sociales bien trop loin de celles qui vendent ce livre ne démontre rien de ce va-et-vient entre ces classes car le premier réflexe que j'ai eu ne fut pas finalement de me réjouir de voir le travail de Martin Parr ici, en ce lieu. Non, mon premier réflexe fut celui de me poser la question de la culbute que je pourrai faire sur la revente, preuve que Martin Parr est maintenant assimilé comme une valeur et moins comme un artiste et que c'est sur ce changement de qualité que se fait bien aujourd'hui l'influence de Martin Parr dans l'histoire de la photographie.

Il est devenu un Bitcoin de l'édition de livres de photographies et le succès de son histoire du livre* de photographies le prouve. Il a inventé un marché, il a sacralisé l'accès de certains ouvrages par une valeur financière. Son regard cultivé, son âme de chercheur, de découvreur d'ouvrages, sa boulimie et sa position dans l'Art Contemporain ont fait de lui un prescripteur de valeurs ajoutées qui ont fini par toucher sa propre production. J'ai toujours pensé qu'il était surtout intéressant là, dans son amour des livres plus que dans sa position de regardeur. Comme collectionneur de cartes postales et plus généralement d'images éditées, je me retrouve chez lui dans cette pratique accumulatrice. Bien sûr je ris, je souris, j'admire ses qualités de photographe, de collectionneur et comment aussi, très anglais, il a su s'amuser de lui-même. 

Comme tout le monde j'oserai dire.

Mais quelque chose est perdue de cette innocence. Quelque chose d'impalpable, d'un peu trop joué, trop répété. Comme l'ami qui ne parle toujours qu'à contre-pied, qui ne sait plus s'inscrire parfois dans un sérieux nécessaire. Vous savez ces amis rois du second degrés leur laissant croire qu'ils survolent le monde ?
Et si finalement, Martin Parr ne valait réellement, dans le vrai monde que 2 euros ?
Pour vous rappeler à quel point j'aime sincèrement Martin Parr, je vous invite à voir sur mes autres blogs mon accord à son travail de collectionneur :


*Le Livre de photographies, une Histoire en 2 volumes
Martin Parr et Gerry Badger
Phaidon

Luxe
Martin Parr
édition Textuel 2009

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